Dialogue sur l’avenir des déchets radioactifs

Échéances lointaines et générations futures

Les décisions que nous devons prendre aujourd’hui auront un impact dans un avenir très lointain (jusqu’à 1 million d’années). Nous voulons éviter que les générations futures ne doivent supporter le poids des déchets que nous avons produits. En même temps, nous voulons aussi leur laisser la possibilité de choisir encore d'autres options, si elles leur paraissent plus appropriées à un moment donné.

Les échéances lointaines, source de changement et d’incertitude 

Au cours de la longue période durant laquelle il faut isoler les déchets radioactifs de la biosphère, de nombreux événements peuvent survenir et faire voir sous un autre jour les décisions concernant leur gestion à long terme. Il peut notamment s’agir de :

  • Évolutions technologiques comme le partitionnement et la transmutation
  • Changements (géo)politiques et décisions en matière d'approvisionnement énergétique. Ces dernières années, on a par exemple assisté à de multiples changements dans la politique d'approvisionnement énergétique de la Belgique : on est passé de la fermeture de toutes les centrales nucléaires à la prolongation de l'exploitation de deux d’entre elles et, récemment, à la mise en ‘stand-by’ de plusieurs centrales. Les récentes tensions géopolitiques – comme la guerre en Ukraine et la réduction de notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie – peuvent avoir des répercussions supplémentaires sur la politique énergétique nationale et européenne. Elles pourraient rendre nécessaire l’adoption de mesures encore plus radicales qui susciteront un regain d'intérêt pour la production d'énergie à partir de centrales nucléaires. Les Pays-Bas prévoient par exemple de construire de nouvelles centrales. L'attention croissante accordée à la problématique du climat pourrait également faire pencher les décisions en faveur d'un développement de l'énergie nucléaire. 
  • Catastrophes et accidents. On ne peut pas non plus exclure que, sur une si longue période, des catastrophes ou des accidents nucléaires modifient les décisions à prendre. Songeons à l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986 et aux problèmes survenus à la centrale nucléaire de Fukushima à la suite du grave séisme et du tsunami de 2011. Des incidents touchant au stockage des déchets radioactifs (comme un accident lors du chargement de déchets dans une installation de stockage aux États-Unis ou la découverte de fuites dans les fûts de déchets radioactifs dans un stockage souterrain instable à Asse, en Allemagne) peuvent également susciter des émotions et des opinions qui donnent une autre orientation à la discussion sur le stockage des déchets radioactifs.
  • Toutefois, des changements dans le temps qui ont un impact sur le stockage géologique des déchets radioactifs peuvent aussi se produire en dehors du secteur nucléaire et/ou de l'énergie. Le changement climatique en est un exemple. Personne ne peut prédire à quoi ressemblera notre climat dans dix mille ans, cent mille ans ou un million d'années. Les mers pourront être devenues des déserts ou les déserts des mers. On ne peut même pas exclure une nouvelle ère glaciaire ou, qui sait, une forêt tropicale en Belgique. Dans nos décisions sur la gestion à long terme des déchets radioactifs, nous devons également tenir compte de ces scénarios futurs
  • Enfin, il y a l'imprévisibilité des sociétés humaines. Nos régions pourraient devenir à l’avenir le champ de bataille de guerres, de conflits de pouvoir ou de révolutions. Les options de gestion à long terme des déchets radioactifs doivent également pouvoir s'adapter à ce genre d’évolutions disruptives.

Que veulent les générations futures ? 

D'un point de vue éthique, il est important de laisser aux générations futures la possibilité de choisir d'autres stratégies de gestion des déchets et de les accabler le moins possible avec les problèmes que nous avons créés. Nous devons donc trouver un équilibre entre la flexibilité et la transmission de charges évitables aux nouvelles générations.

On ne peut par exemple pas exclure que les générations futures parviennent à des options plus sûres de gestion des déchets, avec des technologies avancées qui rendent les déchets moins nocifs ou qui permettent de les récupérer comme matières premières utiles à d'autres fins. C’est pourquoi il est préférable de tenir compte de la flexibilité offerte par les différentes décisions et options de gestion. Un stockage géologique sans possibilité de récupération des déchets empêche les générations futures de choisir une autre option – à moins qu’elles ne décident d'appliquer après la fermeture des techniques minières spécifiques pour récupérer les déchets. Cette dernière opération serait cependant très coûteuse, prendrait beaucoup de temps et serait potentiellement dangereuse pour les travailleurs

La récupérabilité est une façon de donner un choix aux générations futures – un choix qui leur semblera le plus approprié le moment venu. Elles pourraient par exemple choisir de recycler les matières fissiles, comme l'uranium ou le plutonium, qui se trouvent encore dans le combustible usé mais non retraité. D'autres composants des déchets pourraient aussi être susceptibles d’être retraités à l'avenir. Dans la même perspective, le stockage en surface permettrait aux générations futures d'adopter encore plus facilement une stratégie différente de gestion des déchets. 

Cette option implique néanmoins l’obligation d’entretenir les connaissances sur les déchets nucléaires et de transmettre de génération en génération certaines aptitudes et compétences pour manipuler les déchets. En même temps, nous leur faisons supporter une partie de la charge de la résolution du problème des déchets radioactifs. Et nous nous obligeons, mais les obligeons aussi, à poursuivre la recherche d'alternatives, ce qui nécessite un investissement en temps, en argent et en ressources humaines. 

Un stockage définitif passif – qui ne nécessite plus, après plusieurs décennies, d’intervention des générations futures – ne nous dispense cependant pas non plus de la tâche de transférer des connaissances et des compétences. 

Il est préférable de se préparer à conserver pour l'avenir les données, les connaissances et les souvenirs pendant la conception et la mise en œuvre des plans de gestion des déchets et au moment où les moyens financiers pour cela sont disponibles. En outre, nous devons trouver des moyens de traduire ces informations en un langage ou une forme de communication qui perdurera pendant des centaines de milliers d'années.

La possibilité laissée aux citoyens de demain de prendre des décisions informées fait partie d’une gestion éthique et durable des déchets radioactifs. Cette attitude est également conforme à une approche prudente de la sécurité.